Le Lien du sang
- cinebafilms
- 14 janv. 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 avr. 2022


En 2020, Tatsushi Ômori réalise son 12e long métrage intitulé Le Lien du sang (Mother en VO). Ce film conte la vie d’une mère et de son fils vivant dans la pauvreté et cherchant à survivre et à retrouver de l’espoir.
Bonne lecture ! (Attention spoilers)
UNE PLONGÉE DANS LE JAPON PAUVRE
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Akiko Misumi (incarnée par Masami Nagasawa) est une mère célibataire qui ne fait rien de sa vie. Elle n’a ni emploi, ni argent, ni amis. Elle n’a que son fils Shuhei (incarné par Shô Gunji puis par Daiken Okudaira) Ils vivent d’appartement en appartement, de ville en ville, sans jamais voir leur situation s’améliorer. Akiko utilise divers moyens pour s’en sortir. Son fils, elle-même, le chantage.

Elle se sert de Shuhei auprès de sa soeur, ses parents ou son ex-mari pour obtenir de l’argent.
Elle se sert d’elle-même (comprenez son corps) pour retrouver un peu d’espoir.
Elle se sert du chantage auprès d’un fonctionnaire pour obtenir de l’argent.
Sa vie est marquée par plusieurs éléments appuyant la précarité dans laquelle elle et son fils se trouvent. Des coupures d’eau aux coupures d’électricité, en passant par les nuits dans des hôtels miteux ou parfois même dans la rue. Akiko et Shuhei traversent le Japon dans une pauvreté extrême.

Un autre aspect de cette pauvreté est marqué par le fait que la moindre petite once d’espoir est très vite rebutée. Quand on propose à Shuhei d’aller à l’école, Akiko refuse. Quand Akiko trouve un travail, elle retombe vite dans sa paresse et dans ses vices puis finit par voler, tromper, mentir. Là où le dégoût pour Akiko qui entraine tout le monde dans sa chute s’intensifie, la compassion pour Shuhei grandit également.

La pauvreté se ressent également par la solitude omniprésente tout au long du film. Hormis la relation mère-fils, les autres ne sont que temporaires, ou fausses, voire intéressées. Il n’y a rien, personne sur quoi ou qui s’appuyer pour s’en sortir. Ils sont condamnés à rester ce qu’ils sont.

UNE SPIRALE INFERNALE
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Bien que mère, Akiko n’est qu’une éternelle adolescente, dans la pire des visions. Elle est menteuse, manipulatrice, égocentrique. Elle refuse les responsabilités et utilise son fils pour parvenir à ses fins, obtenir de l’argent qu’elle finit toujours par perdre. Elle va finir par le pousser à commettre la plus horrible des choses qui puisse arriver : les meurtres des propres grands-parents de Shuhei. Toujours pour l’argent.

La spirale infernale débute par une situation certes peu envieuse mais tout de même avec de l’espoir. Elle vit dans un appartement, avec son fils et parvient à s’en sortir à l’aide de quelques subterfuges.
À la suite d’un énième prêt d’argent de la part de sa famille, qu’elle perd dans la foulée, elle rencontre Ryo, une sorte d’alter-ego. Leur relation sera le premier pas vers les tréfonds de sa vie. Elle franchit une première ligne rouge lorsque le fonctionnaire qu’elle faisait chanter se fait tuer par Ryo (du moins c’est ce qu’ils croient). Propre à son comportement puéril, elle fuit avec Ryo et Shuhei. Ils vivent alors de petits larcins sans pour autant tenter de s’en sortir.
Elle ne parvient pas à saisir la gravité de sa situation et de ses actes, ou s’en déresponsabilise et rejette son malheur sur Shuhei. Même lorsque son nouveau compagnon la bat lorsqu’il apprend sa grossesse, Akiko reste dans le déni et finit par l’accepter à nouveau. Elle va avoir un nouvel enfant alors qu’elle ne parvient pas à offrir une vie décente à son premier. Tous ses actes ont pour but de se satisfaire elle-même. Elle n’a aucune considération pour son entourage.
Pendant ce temps, Shuhei continue de subir le comportement de sa mère. Il ne parvient pas à s’en détacher. Il est tout ce qu’il a. Il l’aime mais cherche à la fuir. L’arrivée de Fuyuka lui donne une nouvelle raison de vivre, en vain. Jusqu’au jour où il franchit le point de non-retour quand sa mère lui demande d’assassiner ses grands-parents, pour quelques yens.
Paradoxalement, cet événement sera la libération pour Shuhei. Bien que condamné pour plusieurs années à la prison, il ne dénonce pas l’influence de sa mère car il peut enfin se libérer de son emprise. Il cède une emprise psychologique à une emprise physique. Il a commencé sa vie en étant physiquement libre mais psychologiquement enfermé, et la continue physique enfermé mais psychologiquement libéré.

RÉALISATION ÉPURÉE
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Tatsushi Ômori propose une expérience unique avec Le Lien du Sang. De par la complexité du sujet traité, il n’a pas voulu parasiter son film avec des éléments qui n’auraient apporté que peu de valeur à son oeuvre. Ainsi, la musique est pratiquement absente. Hormis lors de quelques séquences majeures, la musique ne vient pas prendre le dessus sur le fond du film. Peut-être un signe que ses personnages n’ont même plus ça pour espérer. Plutôt que de rassurer ou d’accompagner, la musique ne fait qu’appuyer les moments les plus dramatiques ainsi que les tournants du film.
En réalité même la musique en elle-même est épurée. Ce sont quelques notes de piano très sèches qui interviennent ici et là.
Autre preuve que la réalisation est maîtrisée, le montage est minimal. Non pas par fainéantise ou incompétence mais par choix. Les plans durent parfois plusieurs dizaines de secondes, se terminant sur du vide. Or ce n’est pas un vide inutile mais un vide qui symbolise l’avenir des personnages. Le monde continue sans qu’ils n’en soient les protagonistes. Parfois l’action se poursuit par le son : des cris, des bruits, des dialogues. Parfois, l’action se termine sans que le plan ne change.
L’absence de musique et les longs moments de vide caractérisent la vie des personnages. Ils n’ont rien, n’ont droit à rien et ne veulent rien. Ils ne peuvent pas s’en sortir et sont condamnés à rester ce qu’ils sont.

En réalisant Le Lien du sang, Tatsushi Ômori propose aux spectateurs de plonger dans un Japon pauvre duquel on peut difficilement s’extraire. Il propose une analyse des liens d’amour, du sang qui unissent une mère à ses enfants et qui peuvent pousser à des drames, sans que l’on ne puisse faire quoi que ce soit.
C’est un film très sombre qui est original par le thème traité et par la manière dont il a été filmé.
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